Nicolas Liguori
Nicolas Liguori a été l’invité de la 11e édition du festival du film d’animation Drakkar’Toon (2017) pour la présentation du moyen métrage Le vent dans les roseaux.
• La Svedese (court métrage – 2007) : réalisateur
• L’Histoire du Petit Paolo (court métrage – 2011) : réalisateur
• Le Vent dans les roseaux (moyen métrage – 2016) : réalisateur
Portrait animé publié le 18 avril 2021
Cinéma Le Drakkar – Pourrais-tu nous présenter ton parcours et ton travail ?
Nicolas Liguori – J’ai une pratique régulière du dessin depuis l’âge de 10-11 ans. À cette période, je prends des cours de peinture les samedi après-midi dans une MJC d’un village voisin, du nord de la France. Comme une évidence, sans grands questionnements sur mon parcours scolaire, j’entre à l’École des Arts Appliqués et du Textile à Roubaix en 1996 (où la pratique du dessin devient intensive). Au même moment, je commence à me passionner pour le 7e art… Je trouve donc dans le cinéma d’animation l’occasion de joindre mes deux passions (je n’imagine pas à cette époque l’incroyable diversité des propositions dans le cinéma d’animation). Je suis immédiatement fasciné par les œuvres animées au fusain de William Kentdridge, celle en peinture de Gianluigi Toccafondo, les encres de Michaël Dudok de Wit et les pellicules grattées de Len Lye et de Norman Mc Laren…
Aussitôt mes études terminées, en 2001, j’intègre l’équipe de La Prophétie des Grenouilles, au studio Folimage. Puis, au fil des rencontres, je travaille sur de nombreux courts métrages et réalise mes premiers films avec Les Films du Nord. Le producteur, Arnaud Demuynck, m’a beaucoup encouragé à me lancer dans la réalisation (en 2007 avec La Svedese). Mon parcours (ainsi que celui de nombreux auteurs, j’imagine) est jalonné de rencontres déterminantes. Des amis et collègues m’ont accordé leur confiance sur différents projets (je pense notamment à Benoît Razy pour son court métrage Marottes), ce qui m’a été d’une très grande aide au moment de me lancer dans la réalisation de mes propres films. La rencontre avec le musicien Marc Perrone sur mon premier film a donné naissance au film suivant, en 2011, L’Histoire du Petit Paolo, où Marc tient une place centrale (le film s’appuie sur un spectacle d’éveil musical de Marc pour les petits). Puis grâce aux Films du Nord, je rencontre les réalisateurs de documentaire Turi Finocchiaro et Nathalie Rossetti, pour qui je réalise les séquences animées de leur film Canto alla vita, en 2015. Enfin, en 2016, nous sortons avec Arnaud Le Vent dans les roseaux, un film de 26 minutes, qui mobilisera une équipe plus importante que pour mes films précédents.
Nous avons la chance dans le court métrage d’animation de pouvoir travailler sur les films des uns et des autres, de nous épauler, de nous accompagner artistiquement, ce que j’ai toujours trouvé très enrichissant. Je pense à quelques relations de complicité artistique en particulier, avec Anne-Laure Totaro, Regina Pessoa, Clémentine Robach, Hugo Frassetto et les musiciens Marc Perrone et Falter Bramnk… entre autres, passées ou à venir ! Et restant toujours (plus que jamais !) très attaché aux techniques dites « traditionnelles » et à l’animation en « caméra directe » (au banc-titre), j’ai aussi eu le plaisir régulièrement d’exposer des images de mon travail.
L’Histoire du Petit Paolo – Nicolas Liguori – 2012 © Gebeka Films
Le Vent dans les roseaux – Nicolas Liguori, Arnaud Demuynck – 2016 © Les Films du Nord / Cinéma Public Films
CLD – Pourrais-tu nous faire partager un souvenir de séance de cinéma qui t’aurait marqué ?
NL – J’allais au cinéma pratiquement chaque jour pendant une période et me retrouvais parfois seul dans la salle ! Je m’y sentais bien. C’est un lieu dans lequel notre rapport au temps est complètement bouleversé. Il y a eu beaucoup de séances marquantes parmi les films que je découvr/e-ais en sortie nationale (Pages cachées de Alexander Sokourov, Le vent nous emportera de Abbas Kiarostami, Mia Madre de Nanni Moretti, etc.), mais les rétrospectives, les projections d’œuvres patrimoniales sont sans doute les plus inoubliables. Pêle-mêle, il y a eu la compagnie des films de Yasujirō Ozu lors d’une rétrospective : le fait de retrouver ainsi chaque semaine, le temps d’une séance de cinéma, la même troupe d’acteurs jouant différentes histoires (portraits de la société japonaise, les relations intergénérationnelles), dans une forme extrêmement dépouillée, une manière de regarder ses personnages, la précision des cadrages (distance, hauteur, répétition…). Cette constance, plutôt que de provoquer de l’ennui, de la monotonie, installait un profond attachement à son cinéma. Et lorsque cette rétrospective s’est terminée, j’avais le sentiment qu’une relation amicale privilégiée s’arrêtait soudainement ! C’est ce que je ressens parfois aussi avec le cinéaste coréen Hong Sang-Soo, un sentiment de fidélité. Il y a eu la découverte des films de Takeshi Kitano, sortis dans les salles françaises tardivement (Kids Return, Jugastu ou A scene at the sea, entre autres). Le trouble que provoquait chaque film de Luis Buñuel (surtout El); la redécouverte en salle de mes films préférés, comme si je les voyais pour la première fois, The man who shot Liberty Valance, Vertigo, Playtime (dans une salle de cinéma en partie inondée suite à de fortes pluies, ce qui ajoutait encore des jeux de miroirs au film !) , Carlito’s Way, les films de Cassavetes… La projection avec des lunettes 3D de Dial M for Murder d’Hitchcock (film de 1953 pensé pour être projeté en relief).
Puis deux séances, les plus mémorables : une conférence de Jean Douchet à Valence, sur les différentes formes de réalisme dans le cinéma français des années 30-40 : la façon qu’avait Jean Douchet de « conter » le cinéma, sans la moindre note sous les yeux, juste là, sa voix, ses gestes. Un passeur déterminant.
Également, il y a ce jour où j’ai découvert le cinéma d’Andreï Tarkovski. En 2000, tandis que j’attendais dans la file du MK2 Beaubourg à Paris pour voir un film asiatique qui venait de sortir, l’ouvreur interpelle les gens dans la queue : « Pour Le Miroir, il y a encore des spectateurs ? La séance va commencer ». Je n’ai pas le temps d’hésiter, sachant l’importance de ce cinéma que je ne connaissais pas encore, et me précipite dans la salle. Le film a déjà commencé, je reste complètement fasciné, halluciné par une expérience de cinéma hors-norme.
Été précoce – Yasujirō Ozu – 1951 © Shōchiku
A scene at the sea – Takeshi Kitano – 1991 © Office Kitano
Le Miroir – Andreï Tarkovski – 1975 © Mosfilm / Potemkine Films
CLD – Pourrais-tu nous parler de ton actualité et de tes projets et, si cela est possible, nous présenter quelques images ?
NL – C’est une période très dense artistiquement, et pourtant peu de choses sont visibles pour l’instant. En 2015, j’ai eu la chance de faire partie d’un petit groupe de cinéastes d’animation français à être initié à la technique de l’écran d’épingles, avec la cinéaste canadienne Michèle Lemieux. L’écran d’épingles Alexeïeff-Parker du CNC est un instrument ancien (de 1977), le dernier fabriqué par le couple d’artistes Alexandre Alexeïeff et Claire Parker. Il a été restauré par Jacques Drouin et les Archives Françaises du Film du CNC et est désormais mis à disposition pour la réalisation de films d’animation. Cet instrument nous permet de dessiner avec l’ombre projetée de centaines de milliers d’épingles d’acier noir, en une infinité de nuances de gris ! J’ai développé un projet pour l’écran d’épingles lors d’une résidence d’écriture à la Cinémathèque Québécoise en 2017. Depuis, ce projet (pour lequel la bande musicale a déjà été réalisée par Falter Bramnk) a pris une autre tournure et sera réalisé en peinture sur verre, à la maison ! Nous avons, avec Clémentine Robach, installé l’équipement nécessaire à la fabrication d’animation en « caméra directe », chez nous, à Cassel. Nous pouvons ainsi envisager l’accueil de tournage pour des films utilisant ce type de techniques (peinture sur verre, sable sur verre rétroéclairé, papier découpé, etc.). Mais pour revenir à l’écran d’épingles, j’ai effectué une résidence de création avec l’instrument au Musée du dessin et de l’estampe originale à Gravelines (Nord), lors de laquelle j’ai réalisé des illustrations. Une série d’images, inspirée d’une nouvelle italienne de Nicola Lisi, a été sélectionnée pour l’exposition de la Foire du Livre Jeunesse de Bologne l’an passé, en 2020.
Nous développons également avec Rémy Leboissetier un projet de court métrage, La Pierre d’Opale (que nous avions dans les cartons depuis 10 ans !). Et je me suis lancé également dans le développement d’un nouveau projet de court métrage (dont je rêve depuis 20 ans !), abBRACCIANTI, très inscrit dans la tradition musicale italienne. Pour ce projet, nous étions en résidence à l’Abbaye de Fontevraud en octobre 2020 avec le chanteur-musicien Dario Muci.
Ce n’est pas évident de parler en détail de projets en cours de développement, mais j’espère avoir plus de choses à dire et à montrer très bientôt. Et espérons que ces trois projets de films se concrétiseront, l’un après l’autre, dans les années qui viennent…
Travaux réalisés sur l’écran d’épingles lors de sa résidence au Musée du dessin et de l’estampe originale de Graveline © Nicolas Liguori – 2019
Détails du travail sur l’écran d’épingles lors de la résidence au Musée du dessin et de l’estampe originale de Graveline © Nicolas Liguori – 2019
La Pierre d’Opale © Nicolas Liguori, Rémy Leboissetier
abRACCIANTI © Nicolas Liguori
abRANCCIANTI © Nicolas Liguori
CLD – Aurais-tu quelques suggestions de films ou de lectures à nous conseiller ?
NL – Il y en a tellement… Pour rester dans les découvertes relativement récentes, côté cinéma il y a les films d’Alice Rohrwacher, scénariste et réalisatrice italienne, des films Corpo Celeste, Les Merveilles et plus récemment Lazzaro Felice. Et côté littérature, je viens de faire l’heureuse découverte d’André Dhôtel. D’une certaine façon, en les inscrivant ici côte à côte, je réalise qu’il y a quelque chose d’un réalisme tout à la fois proche de la nature et teinté d’instants magiques des livres de Dhôtel que l’on retrouve dans les films d’Alice Rohrwacher.
Les Merveilles – Alice Rohrwacher – 2014 © Amka Films Productions
Lazzaro Felice – Alice Rohrwacher – 2017 © Amka Films Productions / AdVitam
L’enfant qui disait n’importe quoi – André Dhôtel – 2010 © Folio Junior
Le pays où l’on n’arrive jamais – André Dhôtel – 2015 © Flammarion Jeunesse